À l’origine ce fut un enlèvement. “Il était une fois” n’aura rien d’une romance universelle. Sur les hauts plateaux d’Anatolie, la tradition Caucase du mariage par enlèvement promet ainsi la jeune Gulizar à son ravisseur, Garabed. Arrière-petite-fille de ces deux protagonistes, Rebecca Topakian hérite d’une histoire familiale qui vacille, au fil des générations, entre réalité et fiction.
Il était une fois, Gulizar et Garabed.
Dans la brèche laissée par l’ambiguïté – violence ou amour -, et dans les souvenirs abandonnés à des centaines d’années, Rebecca Topakian fait naître une série de photographies. Elle infiltre la vie intangible de son arrière-grand-mère et lui ramifie toutes ses racines : désir, guerre et croyance. Depuis une possible dépossession, celle d’un corps arraché à son consentement, elle rend à Gulizar son propre regard et le fait glisser dans les vies de sa descendance.
Il était plusieurs fois, Dame Gulizar.
Ainsi le conte commence. Pour recomposer l’histoire oubliée, Rebecca met en scène des relations d’intimité, trouve des inconnus à qui elle attribue sa généalogie, et confond habilement le passé au présent. Ses pas iront de pair avec ceux de ses ancêtres; dans les grottes païennes ou les monastères chrétiens, sur les plaines arméniennes d’hiver et d’été, sur des terres aujourd’hui pillées. Là où pierres comme corps seront mutilés : le paysage devient peau, devient mémoire. La collecte des sédiments, comme celle des archives, rassemble alors les chapitres. Entre hostilité et tendresse, Rebecca Topakian nous confie son héritage-mirage dans lequel chaque photographie fait témoin.
Anne Bourrassé